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Bouddhisme au féminin - Partageons nos aspirations, nos questionnements, nos compréhensions

 

UN LOBBY POUR LES NONNES
Le combat pour l'égalité des femmes et des hommes dans le bouddhisme se poursuit.

L'auteure nous rapporte les dernières évolutions concernant l'ordination des nonnes et le titre de géshéma.
PAR BHIKSUNI JAMPA TSEDROEN (Dr. CAROLA ROLOFF)

S.S. le Dalaï-Lama s'est publiquement déclaré favorable au rétablissement de l'ordination des nonnes dans la tradition Mulasarvâstivâda. « Depuis le début, j'ai souhaité que la lignée des bhikkunï de la tradition Mulasarvâstivâda se perpétue et j'ai apporté mon soutien à cette idée. Mais je ne peux pas agir comme un dictateur et dire 'Vous devez le faire !' Je suis tout à fait certain qu'il finira par y avoir une sorte d'accord sur ce sujet» a-t-il déclaré. Il était alors l'intervenant principal à la fête de clôture de la Global Buddhist Congrégation (GBC), fin novembre 2011 à New Delhi, et il parlait devant 900 invités venus de 46 pays. Mais le chemin pour y parvenir est encore long.

Cette conférence commémorait l'anniversaire des "2600 ans de l'éveil du Bouddha". 60 bouddhologues et enseignants du bouddhisme étaient invités pour discuter de questions actuelles : la mondialisation et la commercialisation croissantes représentent-elles un danger pour le bouddhisme ? Quelle peut être la contribution du bouddhisme à des questions cruciales du monde moderne, quelle est sa position sur la garantie du minimum vital, sur l'éthique et les valeurs, sur les conflits et la violence et sur le rôle de la femme dans le bouddhisme ?

Concernant les femmes, les organisateurs ont dû faire face à de nombreuses critiques. Deux seulement des quatre groupes des successeurs du Bouddha ont participé à la cérémonie d'ouverture : des moines (bhiksus) et des pratiquants laïcs(upâsakas). Pas une seule nonne (bhiksunï), pas une seule pratiquante laïque (upâsikâ) n'était présente sur l'estrade. Les supérieures des grands ordres de nonnes de Corée, de Taïwan et du Vietnam n'avaient même pas reçu d'invitation. Pas une nonne theravâda, pas une nonne tibétaine ne se trouvait parmi les participants.

J'ai pu constater à plusieurs reprises l'existence de structures patriarcales similaires dans le bouddhisme lors de mon voyage en Inde : à l'occasion de la conférence du Réseau International des Bouddhistes engagés (International Network of Engaged Buddhists - INEB) à Bodhgaya et pendant la 11e conférence des chefs des traditions religieuses du Tibet à Dharamsala.

Au cours d'un atelier sur la question de l'égalité des sexes à la conférence de l'INEB, des bhikkhunïs du Sri Lanka ont rapporté que les ordres de nonnes avaient certes été rétablis dans leur pays et que désormais les femmes pouvaient étudier dans les universités monastiques bouddhistes. Mais contrairement aux bhikkus et aux disciples laïcs hommes, elles ne sont pas autorisées à y enseigner bien qu'elles soient tout autant qualifiées. Il leur est également interdit de fonder leur propre université. Au-delà de cela, on refuse - comme en Thaïlande - d'inscrire leur nom de bhikkhunï sur leurs papiers d'identité. C'est ainsi que l'imbrication de la politique et de la sangha des bhikkhus empêche ce que le droit international considère comme une évidence.


LE DALAÏ-LAMA INSISTE REGULIEREMENT SUR LE FAIT QUE LE CHANGEMENT DOIT VENIR DE L'INTÉRIEUR DES TRADITIONS.
Les études et l'ordination complète des nonnes étaient aussi au programme de la 11e conférence des chefs religieux du bouddhisme tibétain et de la tradition bon, qui s'est tenue à Dharamsala du 22 au 24 septembre 2011. Là encore, seuls des moines et des disciples laïcs hommes étaient invités. Le Tibetan Nuns Project et le Committee for Bhiksuni Ordination in the Tibetan Buddhist Tradition avaient demandé à assister, au moins comme observateurs, aux débats traitant des deux points concernant spécifiquement les nonnes : leur demande a été rejetée par l'office de la religion et de la culture du gouvernement tibétain en exil. On répondit à ma question par une autre question : toutes les nonnes ne seraient-elles pas déjà suffisamment représentées par les chefs (hommes) de leurs traditions respectives ?


Vingt-huit hommes de haut rang étaient invités, dont cinq délégués des traditions bouddhistes au parlement tibétain ainsi que le ministre de la religion et l'ancien premier ministre tibétain Samdhong Rinpoché. Aucune femme lama n'était invitée, pas même S.E. Sakya Jetsun Chimey Luding Rinpoché ni S.E. Mindroling Jetsun Khando Rinpoché.

LES HOMMES DÉCIDENT POUR LES FEMMES
Au terme d'une courte discussion, la conférence de Dharamsala a pris sa décision sur le sujet de l'ordination des nonnes : « Pendant plusieurs années, des recherches ont été faites sur la lignée d'ordination des bhikkunï. Les résultats ont été publiés dans une série d'ouvrages [écrits par un seul et même chercheur et écrivain, note de l'auteure]. Il en ressort clairement que la lignée des bhiksunï Mulasarvâstivâda n'existe pas. Même en ce qui concerne les lignées de bhikkunï des autres écoles, les doutes quant à leur origine authentique n'ont pas pu être entièrement écartés [en fait, les documents historiques en chinois disponibles depuis les années 1980 n'ont pas été pris en considération, note de l'auteure].

Pour clarifier cette affaire, le Department of Religion and Culture va créer une sous-commission constituée d'experts et de détenteurs du Vinaya, représentatifs de toutes les traditions. Ils devront répondre à la question : oui ou non, existe-t-il une méthode permettant de rétablir la lignée ? et communiquer leur conclusion, assortie de sa justification. »

L'étude d'un chercheur tibétain, qui défend une position différente sur ce sujet, a été ignorée, bien que Samdhong Rinpoché et d'autres géshés la considèrent comme excellente. Il en est allé de même de la prise de position de nonnes occidentales, déposée en tibétain, et de publications d'experts reconnus au niveau international. Du point de vue historique comme du point de vue des trois traditions vivantes du Vinaya - Mulasarvâstivâda (Tibet), Dharmaguptaka (Taïwan, Chine, Corée, Vietnam) et Theravàda (Sri Lanka, Thaïlande, Burma, etc.), un rétablissement est possible.
Au moins tout le monde est-il d'accord dans la tradition Karma Kagyu, comme me l'a rapporté le Karmapa : l'ordination complète dans la tradition Mulasarvâstivâda est possible et souhaitée. Kyabje Ling Rinpoché aussi me l'a assuré : "De mon vivant, je serai certainement témoin de l'ordination des bhiksunï !"

Une demande avait été faite par le Dolma Ling Institute et par Jamyang Choeling, représentant onze monastère de nonnes, pour que la question de l'attribution aux nonnes du titre de géshé soit tranchée. Pour chacun des monastères concernés, un enseignant et deux nonnes s'étaient unanimement prononcés pour l'attribution d'un 'petit' et d'un 'grand' titre de géshé, tsogrampa et lharampa. Mais cette demande a été rejetée : « Pour obtenir le rang de géshé dans la tradition Riwo Gelugpa, il faut clairement avoir étudié les cinq textes majeurs. » L'un d'eux est le Vinayasûtra, qui concerne la discipline monastique. Traditionnellement, seuls les moines (et les nonnes) pleinement ordonnés peuvent étudier ce texte.
Il est dit ensuite : « Tant que les communautés n'auront pas étudié le Vinaya et l'Abhidharma, et en particulier le texte majeur du Vinaya, «il1 ne sera pas possible de conférer le rang de géshé à leurs membres. Nous considérons que le titre de rabjamma 'détentrice de tous les textes' peut leur être attribué. »
Dans la tradition Nyingma aussi, le titre de khenmo, équivalent féminin du khenpo, ne peut pas exister sans ordination complète et sans avoir étudié tout le Vinaya. Les nonnes doivent donc se contenter du titre de Kalyânamitrâ. Dans la tradition Sakya, trois titres peuvent être délivrés progressivement - ce que l'on pourrait comparer à une licence, un master et un doctorat. Ce n'est que dans la tradition Kagyu que les nonnes peuvent obtenir le titre de khenmo. La tradition Bon, chez qui il y a toujours eu des bhiksunïs, n'a pas d'objection à l'attribution à des nonnes du titre de géshé. Concernant l'attribution du titre de Rimé Géshé à des nonnes (voir Tibet und Buddhismus n° 4 / 2011), la conférence de suivi doit vérifier à nouveau quels sont les textes qui constituent les fondements de ce nouveau cursus. Ce titre de géshé, de la même façon qu'un titre de géshé pour les nonnes en général, est approuvé par le Dalaï-Lama qui a dit à Delhi, sous un tonnerre d'applaudissements : « Je pouvais prendre une décision, d'ailleurs je l'ai déjà prise : les études dans les monastères de nonnes sont maintenant au même niveau que dans les grandes universités pour moines. Quelques nonnes ont déjà reçu leur diplôme. Elles deviennent des géshé-mas, de grandes érudites ! » Cependant, lorsque ce point était discuté par les chefs des traditions, ni S.S. le Dalaï-Lama ni le Gyalwa Karmapa n'étaient présents.

En 2011, quinze autres nonnes ont achevé leurs études de « géshé » dans le monastère de Jangchub Choeling (situé à Mundgod, Inde du Sud). Depuis 2006, dans ce monastère seulement, ce sont déjà 47 nonnes qui se sont qualifiées pour le petit titre de géshé au moins. Mais après 17 ans d'études, elles ne peuvent toujours recevoir que le titre de rabjamma. Même les moines qui leur enseignent ne comprennent pas pourquoi la 11e conférence des chefs des traditions n'a pas suivi la demande des onze monastères de nonnes. La conférence n'a pas été informée que de nombreuses nonnes avaient déjà achevé leurs études de l'Abhidharma, ainsi que des études du Vinaya correspondant à leur statut de novice, ce qui a suscité une grande indignation.

Les résistances à l'égalité des nonnes s'amoindrissent, de plus en plus de moines s'engagent pour elles. À Mundgod, dans le cadre de mon projet de recherche, j'ai pu m'entretenir tout une journée avec douze géshés envoyés par les monastères de Ganden et de Drepung sur les questions de l'ordination des nonnes. L'atmosphère était bonne, les moines avaient l'air de vouloir me soutenir dans mon travail.

Au monastère de Sera (Inde du Sud), un séminaire Vinaya de deux jours a été organisé et a connu un franc succès. L'abbé Géshé Lobsang Palden avait invité dix géshés Iharampa de premier rang de Sera Jhe et Sera Me. Son disciple Géshé Rinchen Ngodup, qui fait des recherches et publie des travaux sur l'ordination des nonnes depuis des années, a spontanément décidé de m'y accompagner. À la fin du séminaire, tous les géshés présents ont unaniment constaté que les sources sont claires : une ordination complète des nonnes dans la tradition Mulasarvastivada est possible, conférée par les moines de cette tradition seuls ou en association avec les nonnes Dharmagupta. Peu après, Géshé Lobsang Palden a personnellement informé le Dalaï-Lama de l'issue positive du séminaire.
Le Dalaï-Lama insiste régulièrement sur le fait que le changement doit venir de l'intérieur des traditions. Il est important que de plus en plus de moines s'engagent ouvertement pour les nonnes et qu'ils exercent une pression sur les instances responsables.

Les nonnes elles-mêmes ont un rôle important à jouer : elles doivent continuer à exiger le respect de leurs droits. Comme tous les mouvements, celui des nonnes doit avoir un lobby. Les centres du dharma et les enseignants bouddhistes en Occident sont particulièrement concernés. Ils doivent avoir une action plus forte sur les enseignants traditionnels et sur les institutions. Car, en fin de compte, quand les femmes pourront à nouveau, comme aux temps du Bouddha, étudier le bouddhisme, le pratiquer et le transmettre, ce sera un enrichissement pour tous. Dans de nombreux domaines de la société, et tout particulièrement aujourd'hui, nous avons vu à quel point il est important d'intégrer des perspectives spécifiquement féminines ; après tout, la moitié de la population est constituée de femmes, qui ne pensent pas toujours et n'agissent pas toujours comme les hommes.

Auteure Ven.Jampa Tsedroen (Dr.Carola Rolof), article du magazine "Tibet und Buddhismus" du 26. 2. 2012, traduit par Fabienne Hourtal à la demande de Sakyadhita France, branche française de l'internationale Association des femmes Bouddhistes,

Plus d'informations:
"Comité pour l'ordination des bhiksunï"
le site du Dr. Carola Roloff (allemand et anglais)

 

 

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